Le transhumanisme (du latin trans, « au-delà », et humanus, « humain ») désigne un mouvement intellectuel, culturel et technoscientifique qui vise à dépasser les limites biologiques de la condition humaine grâce aux progrès scientifiques et techniques (intelligence artificielle, biotechnologies, génétique, neurosciences, nanotechnologies, robotique, etc.). Le terme a été introduit en 1957 par le biologiste Julian Huxley, premier directeur général de l’UNESCO, qui voyait la possibilité pour l’humanité de se « dépasser elle-même » par un usage conscient de la science et de l’éducation. Resté marginal pendant plusieurs décennies, il a été repris et popularisé à partir des années 1980 par des penseurs comme FM-2030, puis institutionnalisé dans les années 1990 avec la création de la World Transhumanist Association (aujourd’hui Humanity+), sous l’impulsion de philosophes comme Nick Bostrom, né en 1973, philosophe suédois et professeur à l’université d’Oxford, et David Pearce, né en 1959, philosophe britannique, connu pour avoir imaginé un futur où la douleur physique et la souffrance psychologique seraient remplacées par des états de bien-être durable (parfois appelé « paradis biochimiques ») notamment dans son ouvrage intitulé The Hedonistic Imperative (1995).

Aujourd’hui, le transhumanisme recouvre l’idée que les technologies peuvent — et doivent — être utilisées non seulement pour soigner, mais aussi pour augmenter les capacités physiques, cognitives et émotionnelles de l’être humain, avec pour horizon le prolongement indéfini de la vie et la transformation radicale de l’espèce humaine.

Pour éviter toute confusion, séparons les notions de trans- et de posthumanisme. On les confond souvent, mais ces deux mouvements ne désignent pas la même chose. Le transhumanisme est un projet d’amélioration de l’être humain grâce aux technologies comme l’intelligence artificielle, la biotechnologies, les implants dans le corps, la modification génétique, etc. L’idée est de repousser nos limites naturelles — vaincre les maladies, ralentir le vieillissement, accroître nos capacités cognitives ou physiques. Le transhumain est donc encore un humain, mais « augmenté ».

Le posthumanisme, quant à lui, ne vise pas seulement à perfectionner l’humain : il invite à penser au-delà de l’humain. Il remet en question l’héritage de l’humanisme classique, qui plaçait l’homme au centre du monde. Le posthumanisme envisage un futur où l’humain pourrait perdre sa place privilégiée, au profit d’une coexistence ou même d’une fusion avec d’autres formes de vie ou d’intelligence (animales, artificielles, hybrides). Avec le posthumanisme, l’humain n’est plus la référence absolue. En résumé, le transhumanisme veut rendre l’humain « meilleur » tandis que le posthumanisme s’interroge sur ce qu’il advient après ou au-delà de l’humain, en repensant sa place dans le monde.

Pour illustrer cela, imaginez que vous êtes étudiant et que vous deviez passer un examen de philosophie. Grâce à un implant neuronal, vous mémorisez instantanément vos cours et retrouvez toutes les références dans votre tête comme si vous aviez une bibliothèque intégrée. Votre corps, renforcé par la biotechnologie, ne fatiguerait presque plus, et vous pourriez vivre deux cents ans en bonne santé. Dans cet exemple, vous restez vous-même, un humain, mais doté de capacités « augmentées » par la technologie.

Imaginons maintenant un futur posthumaniste où l’être humain tel que nous le connaissons s’est fait dépasser. Dans ce monde, vous n’avez plus besoin de passer d’examen : l’intelligence artificielle et vous êtes désormais fusionnés. Il n’y a plus de séparation entre « votre » pensée et celle de la machine. Les idées ne viennent plus seulement de votre cerveau biologique, mais d’un réseau partagé entre plusieurs êtres humains et des IA. Dans ce monde, l’individu tel que nous le connaissons — avec ses limites et son autonomie — a disparu. On serait ici au-delà de l’humain, car ce n’est plus seulement nous qui penserions, mais une forme d’intelligence hybride et collective.

Le transhumanisme fait parfois la une des débats scientifiques et médiatiques grâce à ses promesses spectaculaires. Par exemple, Ray Kurzweil, ingénieur et futurologue américain, prédit que l’humanité pourra atteindre une immortalité numérique d’ici 2045, consistant à conserver l’esprit ou la personnalité d’une personne dans un support technologique, comme un ordinateur, un réseau ou une intelligence artificielle. C’est-à-dire que même si notre corps biologique venait à mourir, notre « moi » continuerait d’exister sous une forme numérique, une idée qui fascine autant qu’elle inquiète.

Face à de telles ambitions, une question se pose : le transhumanisme est-il une nouvelle étape du progrès humain, permettant de repousser les limites biologiques et cognitives, ou bien une forme moderne de croyance quasi religieuse, nourrie de visions utopiques surhumaines et de promesses de salut technologique ?

Examinons d’abord le transhumanisme comme projet rationnel et technoscientifique, avec ses promesses et ses figures emblématiques. Le transhumanisme peut se lire comme la suite logique de l’héritage humaniste et des Lumières. Depuis le XVIIᵉ siècle, la philosophie et la science ont affirmé la capacité de l’homme à comprendre, maîtriser et transformer la nature. Dans son Discours de la méthode (1637, partie IV), René Descartes affirme que, grâce à la science et à la raison, l’homme peut devenir le « maître et possesseur de la nature » : comprendre les lois naturelles permet de s’en servir pour améliorer la vie humaine. Francis Bacon, quant à lui, insiste sur le rôle de la science comme instrument pour accroître le pouvoir de transformation du monde, ouvrant la voie à une maîtrise technique toujours plus grande.

Au XIXᵉ siècle, Friedrich Nietzsche introduit le concept du Surhomme (« Übermensch ») notamment dans Ainsi parlait Zarathoustra. Le Surhomme symbolise l’individu capable de se dépasser lui-même, de transcender ses limites et ses conditionnements pour créer de nouvelles valeurs. Cette idée rejoint la philosophie transhumaniste dans sa dimension d’ambition de dépassement : l’homme n’est pas une fin en soi, mais un être qui peut évoluer et se transformer.

Le transhumanisme s’inscrit donc dans cette logique : il cherche à repousser les limites biologiques et cognitives de l’être humain grâce aux sciences et technologies modernes. La médecine régénérative permet de réparer des organes défaillants, les implants neuronaux et prothétiques augmentent les capacités physiques ou cognitives, et l’intelligence artificielle appliquée à la santé offre de nouveaux moyens de diagnostiquer et traiter les maladies. La recherche sur le prolongement de la vie vise à ralentir le vieillissement et à prévenir les maladies liées à l’âge. Ainsi, le transhumanisme apparaît comme un projet rationnel et scientifique, fidèle à l’esprit du progrès hérité des Lumières : il ne s’agit pas d’une fantaisie ou d’une croyance mystique, mais d’une tentative de traduire en actions concrètes la volonté humaine de se dépasser et de transformer son environnement pour améliorer la condition de l’homme. 

Si le transhumanisme se présente comme un projet scientifique, certains observateurs le lisent comme une forme de foi moderne, avec ses propres promesses, ses propres figures et rituels. Au cœur de cette lecture se trouve la promesse d’immortalité : à travers la médecine régénérative, les implants ou l’intelligence artificielle, il serait possible de prolonger la vie indéfiniment ou même de transférer sa conscience sur un support numérique. Cette idée de « paradis technologique » rappelle fortement les croyances religieuses traditionnelles sur la vie éternelle.

Comme dans toute religion, le transhumanisme a ses figures prophétiques. Comme énoncé plus haut, Ray Kurzweil prédit l’avènement de la singularité technologique d’ici 2045. Elon Musk, lui, défend l’idée que l’homme doit fusionner avec l’IA pour survivre, et Nick Bostrom, auteur d’ouvrages influents comme Superintelligence (2014) dans lequel il analyse les défis et dangers d’une intelligence artificielle surpassant l’intelligence humaine, avertit des risques existentiels tout en orientant la réflexion sur la voie du salut technologique. Pour lui, en effet, les technologies émergentes offrent des possibilités extraordinaires pour l’homme, mais elles doivent être utilisées avec précaution et responsabilité, afin d’éviter des catastrophes potentielles. Ces personnalités jouent quasiment un rôle de gourous ou, tout du moins, de prophètes modernes, guidant les adeptes du transhumanisme dans leur foi en un futur radicalement transformé.

Le mouvement comporte également des rituels symboliques et des croyances partagées : le culte du progrès scientifique, l’anticipation eschatologique de la singularité (la manière dont certains transhumanistes attendent la singularité, soit le moment hypothétique où l’intelligence artificielle dépassera l’intelligence humaine, comme un événement quasi « messianique », capable de transformer radicalement la condition humaine), la lecture attentive de prédictions futuristes ou de rapports sur les technologies émergentes. 

On retrouve ainsi des parallèles avec les religions classiques : l’immortalité de l’âme est remplacée par l’immortalité numérique. La rédemption ou le salut trouve son équivalent dans la guérison des maladies et l’augmentation des capacités humaines. Le messianisme, la venue d’un sauveur, se traduit par l’avènement du posthumain ou de la singularité technologique. Dans cette perspective, le transhumanisme ne se réduit plus à un projet rationnel de dépassement humain : il devient une foi, avec ses dogmes, ses prophètes et ses visions eschatologiques. La science et la technologie ne sont plus seulement des outils, mais des instruments de salut et de transformation radicale de l’existence humaine.

Le transhumanisme suscite autant d’enthousiasme que de critiques, car ses promesses soulèvent des enjeux éthiques, sociaux et philosophiques majeurs. Citons-en quelques-uns. Si certaines personnes peuvent accéder aux technologies d’augmentation — implants, thérapies génétiques, intelligence artificielle personnelle — tandis que d’autres restent « humaines naturelles », la société pourrait se diviser en deux catégories : une élite augmentée et des humains ordinaires. Cette fracture pose des questions de justice sociale et d’équité : qui bénéficiera réellement de ces avancées ?

La déshumanisation est aussi en question. En effet, la recherche du perfectionnement humain pourrait nous faire perdre ce qui fait notre humanité telle que nous la connaissons : notre vulnérabilité, notre finitude, nos limites biologiques. Hans Jonas, dans son Principe de responsabilité, met en garde contre des projets technologiques qui ignorent les conséquences sur l’avenir de l’humanité. La peur est que, en cherchant à tout contrôler et améliorer, nous perdions le sens de notre condition humaine.


Les technologies qui promettent d’augmenter nos capacités pourraient en réalité nous aliéner et nous rendre dépendants, créant ainsi une illusion de liberté. Jürgen Habermas, philosophe allemand né en 1929, auteur par exemple de L’avenir de la nature humaine (2001) dans lequel il analyse les enjeux de la biotechnologie et du clonage — soulignant que ces transformations posent des questions éthiques fondamentales : quelle autonomie reste-t-il à l’individu ? Qui décide des modifications et à quelles fins ? — avertit que modifier la nature humaine via la biotechnologie ou l’IA pourrait réduire notre autonomie réelle, même si nous croyons être « libres ». Francis Fukuyama, politologue et philosophe américain, professeur à l’Université de Stanford, quant à lui, qualifie le transhumanisme de « plus dangereuse idée du monde » dans son livre Our Posthuman Future (Notre avenir posthumain, 2002). En effet, selon lui, le transhumanisme pourrait transformer radicalement l’homme et la société, avec des conséquences imprévisibles.

Le transhumanisme apparaît donc comme un mélange fascinant de rationalité scientifique et de récit quasi religieux. D’un côté, il prolonge l’héritage des Lumières, idée consistant à améliorer la condition humaine, repousser nos limites biologiques et cognitives, et utiliser la science pour transformer notre existence. De l’autre, il promet un salut technologique, une immortalité numérique ou un posthumain idéalisé, avec ses figures prophétiques et son horizon eschatologique.

Cette ambivalence révèle quelque chose de profond sur nous : d’un côté, nous sommes partagés entre le désir de tout maîtriser, de dépasser nos fragilités et notre finitude, nous rêvons de tout améliorer, d’éliminer les maladies, le vieillissement ou nos limites physiques et mentales, et de l’autre, nous avons la sensation que notre humanité tient aussi dans ce qui nous rend vulnérables et finis. Les limites, la fragilité, la mort et même la souffrance font partie de ce qui nous définit comme humains et donnent du sens à nos vies, à nos choix et à nos relations. En d’autres termes, même si la technologie promet de nous « surpasser », il y a un attachement profond à ce qui fait notre condition humaine naturelle, et à la valeur que la vie prend précisément parce qu’elle est limitée et fragile.

Mais le transhumanisme, ce n’est pas seulement un futur lointain. Si? Ne sommes-nous pas déjà entrés dans l’ère transhumaine ? Que dire de nos smartphones et assistants intelligents : nous avons accès instantanément à des informations et des calculs complexes, comme si une extension de notre mémoire et de notre cognition se trouvait dans notre poche. Que penser de nos prothèses avancées : bras et jambes bioniques qui permettent à certaines personnes de retrouver des fonctions perdues ou même d’aller au-delà des capacités humaines usuelles. Que faire des implants cochléaires et des dispositifs auditifs qui restaurent ou améliorent l’audition. Ou encore des applications de suivi de santé et objets connectés : montres, capteurs et applications qui mesurent le rythme cardiaque, le sommeil, la glycémie, et permettent d’anticiper ou de prévenir certaines maladies? Certaines entreprises travaillent même sur des implants permettant de contrôler des machines par la pensée ou d’améliorer la mémoire et la concentration. Ces exemples montrent que le transhumanisme n’est plus seulement une idée futuriste : il s’insinue progressivement dans notre vie quotidienne, augmentant nos capacités physiques, cognitives et sensorielles. Le vrai défi pourrait ne pas être de courir après l’immortalité, mais de réinventer une « éthique de l’augmentation » : comment utiliser ces technologies pour améliorer nos vies tout en préservant nos valeurs, notre autonomie et notre humanité? 

En somme, le transhumanisme nous oblige à réfléchir non seulement à ce que nous pouvons faire avec la technologie, mais aussi à ce que nous voulons devenir, individuellement et collectivement.

Pour aller plus loin:

  • Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains, Paris, Fayard, 2009.